Une approche psycho-linguistique du TAT (Gori et Poinso)

Introduction

Le Thematic Apperception Test (TAT), conçu par Henry Murray et Christina Morgan dans les années 1930, est l’un des tests projectifs les plus utilisés en psychologie clinique. Il repose sur l’analyse des récits produits par les sujets à partir d’images ambiguës, permettant d’explorer les processus psychiques sous-jacents. Dans leur article Projet d’une approche psycho-linguistique du T.A.T. (1971), Roland Gori et Yves Poinso proposent une lecture innovante du test en l’analysant à travers les théories linguistiques de Roman Jakobson. Ils suggèrent que les récits produits lors du TAT peuvent être étudiés selon les différentes fonctions du langage, révélant ainsi des dynamiques inconscientes spécifiques. Cet article explore leur analyse et ses implications pour l’interprétation clinique du TAT.


1. Le TAT comme acte de communication linguistique

Un schéma inspiré de Jakobson

Gori et Poinso soulignent que le TAT, bien que conçu comme un outil projectif, repose avant tout sur un acte de communication entre le sujet et le clinicien. Ils reprennent la classification de Jakobson, qui distingue plusieurs éléments dans tout échange linguistique :

  • Le locuteur (le patient), qui produit le récit.
  • L’allocutaire (le psychologue), qui écoute et prend des notes.
  • Le référent (les planches du TAT), qui sert de support au discours.
  • Le contact, qui représente la relation psychologue-patient.
  • Le code linguistique, supposé partagé entre les deux interlocuteurs.
  • Le message, constitué par les réponses du patient.

En intégrant ces dimensions, ils mettent en évidence que l’analyse d’un TAT ne doit pas se limiter au contenu manifeste des récits, mais s’intéresser aussi à la manière dont ils sont produits.


2. Les fonctions du langage et leur rôle dans l’interprétation du TAT

Les six fonctions linguistiques appliquées au TAT

Selon Jakobson, tout message verbal remplit plusieurs fonctions linguistiques. Gori et Poinso proposent d’appliquer cette grille de lecture aux réponses des sujets :

  1. Fonction référentielle (centrée sur le contenu)

    • Le patient décrit les éléments visibles sur la planche.
    • Exemple : « Il y a une lampe, une table et un rideau. »
  2. Fonction émotive (expression des émotions du sujet)

    • Le sujet exprime son ressenti face à la planche.
    • Exemple : « Cette image me fait peur… »
  3. Fonction conative (interpellation de l’allocutaire, le psychologue)

    • Le sujet cherche à influencer la réaction du clinicien.
    • Exemple : « Et vous, que voyez-vous ? »
  4. Fonction phatique (maintien du contact avec l’interlocuteur)

    • Utilisée pour vérifier que l’échange continue.
    • Exemple : « Vous m’écoutez ? »
  5. Fonction métalinguistique (vérification du code et du sens des mots)

    • Exemple : « Est-ce bien un violon sur cette image ? »
  6. Fonction poétique (mise en valeur du message lui-même)

    • Exemple : « Il flottait dans un silence éternel… »

L’intérêt clinique de cette approche

Les auteurs suggèrent que la dominance de certaines fonctions du langage peut révéler des particularités psychologiques :

  • Une forte fonction référentielle est souvent observée chez les sujets obsessionnels, qui se concentrent sur la description des éléments sans les organiser en un récit structuré.
  • Une prépondérance de la fonction émotive peut être indicative de troubles dissociatifs névrotiques, le sujet insistant sur ses ressentis face aux images.
  • Une utilisation excessive de la fonction conative pourrait être observée chez des patients paranoïaques ou manipulatoires, qui cherchent à contrôler l’échange avec le clinicien.
  • Une forte présence de la fonction poétique peut être associée aux sujets psychotiques, qui investissent les mots d’une manière inhabituelle.

3. Validation et implications pratiques

Sélection des planches pertinentes

Dans leur étude, Gori et Poinso sélectionnent certaines planches du TAT particulièrement révélatrices des dynamiques psychiques :

  • Planches I et II : Introduction du test et mise en place des premières stratégies discursives.
  • Planche V : Prédominance des descriptions obsessionnelles.
  • Planche X : Réduction narcissique de la relation chez les sujets psychotiques.
  • Planche 13 MF : Émergence de réactions affectives fortes.

Cette méthodologie vise à établir des corrélations entre les types de discours et les structures psychopathologiques, permettant d’affiner l’interprétation des récits produits par les patients.

Perspectives cliniques

L’approche psycho-linguistique du TAT ouvre des perspectives pour :

  • Mieux comprendre la structuration du discours chez les patients.
  • Différencier les structures psychopathologiques sur la base du langage utilisé.
  • Adapter les techniques d’interprétation aux spécificités du sujet.

En insistant sur le processus énonciatif, Gori et Poinso rappellent que le TAT ne doit pas seulement être interprété en fonction du contenu manifeste des histoires, mais aussi selon la manière dont elles sont racontées.


Conclusion

L’étude de Gori et Poinso propose une lecture innovante du TAT, en s’appuyant sur la linguistique pour mieux comprendre les mécanismes projectifs. Leur analyse met en évidence l’importance des fonctions du langage dans l’interprétation des réponses et ouvre de nouvelles voies pour affiner l’évaluation clinique. En intégrant cette approche, les psychologues cliniciens peuvent approfondir leur compréhension des processus inconscients à l’œuvre dans les récits projectifs.


Référence de l’article original :

Gori, R., & Poinso, Y. (1971). Projet d’une approche psycho-linguistique du T.A.T. Bulletin de psychologie, Tome 24, n°292, pp. 713-717.

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